Tchad
Ce document fait partie d'un projet de recherche plus large sur les flux d'or africains. Pour plus d'informations sur les sources de données, la méthodologie ou les recommandations, veuillez vous référer au rapport Sur la piste de l'or africain (SWISSAID 2024).
Type de pays
Principales caractéristiques : producteur d’or, extraction exclusivement artisanale, exportateur d’or vers les Emirats arabes unis, pays impliqué dans la contrebande d’or au niveau régional (Sahel, Sahara)
Production d’or
-
extraction minière artisanale et à petite échelle
- déclarée : 0,58 tonne en 2021
- non déclarée (estimation) : 8,25 tonnes par an à la fin des années 2010
-
extraction minière industrielle : aucune
Exportations d’or
- déclarées : 3,68 tonnes en 2022, selon les autorités tchadiennes
- non déclarées (estimation de la contrebande) : possiblement jusqu’à 11,35 tonnes en 2022
Membre ITIE : oui, depuis 2007, mais les rapports ITIE Tchad contiennent peu de données chiffrées sur le secteur de l’or
Rapporte à UN Comtrade : non
Résumé
Il existe très peu de données chiffrées sur le secteur de l’or tchadien. Celui-ci est en majeure partie informel et donc, difficile à mesurer et à contrôler. Les chiffres officiels que SWISSAID est parvenue à se procurer indiquent que la production d’or au Tchad, qui est reconnue comme essentiellement artisanale, a été relativement faible au cours de la décennie 2013-2022. Mais les estimations de cette production en donnent une autre image. La plus récente d’entre elles (qui est aussi la plus fiable) avance le chiffre de 8,25 tonnes d’or produit par année, en s’appuyant sur un inventaire des sites d’extraction minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) du pays réalisé en 2020.
Les autorités tchadiennes ne publient pas de chiffres sur les exportations d’or depuis le Tchad. Mais SWISSAID a pu en obtenir en s’adressant à la Direction des mines. Le seul chiffre qu’elle a reçu pour une année complète concerne 2022, année où les exportations d’or tchadien ont officiellement atteint 3,68 tonnes. Il y a toutefois une bonne raison de penser que leur ampleur réelle est bien plus grande : depuis le début des années 2010, les autorités émiraties rapportent à UN Comtrade des volumes croissants au titre d’importations d’or en provenance du Tchad. Un record a été atteint en 2022, où plus de 15 tonnes de métal jaune auraient voyagé entre le Tchad et les Emirats arabes unis (EAU). Ces chiffres rapportés par les autorités émiraties peuvent être considérés comme révélateurs de l’importance du commerce de l’or entre les deux pays.
La majeure partie de l’or exporté depuis le Tchad n’est pas déclaré à sa sortie du pays. Les EAU apparaissent comme la destination principale de cet or de contrebande. Une partie du métal jaune acheminé clandestinement hors du Tchad rejoint le Mali et la Libye, mais ces pays sont eux aussi impliqués dans le trafic d’or à destination des EAU.
Une partie de l’or exporté depuis le Tchad entre 2013 et 2022 provenait de mines situées sur le territoire de ce pays, une autre de la contrebande avec les pays voisins, eux aussi producteurs du métal précieux. Les frontières poreuses dans la région du Sahel rendent le trafic d’or relativement aisé.
Comme SWISSAID n’a pu obtenir de chiffres officiels sur la production d’or au Tchad que pour deux années (2020 et 2021) et sur les exportations d’or depuis le Tchad que pour une année (2022), et comme ces données ne sont de toute façon pas révélatrices de l’ampleur réelle des phénomènes en question, la vue d’ensemble du secteur de l’or tchadien sur la période 2013-2022 montre avant tout l’estimation de la production et les données miroir des exportations (c’est-à-dire les données sur les importations d’or en provenance du Tchad rapportées par les autorités des autres pays). L’analyse de ce secteur repose donc nécessairement sur une comparaison de ces deux phénomènes.
Le Tchad a vécu une ruée vers l’or dès le début des années 2010, ce qui explique que l’estimation de la production du métal précieux apparaît dans le graphique ci-dessus sous forme de quantités croissantes dans le temps. Les importations d’or en provenance du Tchad rapportées par les autres pays, elles, ont varié considérablement entre 2013 et 2020, puis explosé en 2021-2022. Cela suggère deux choses :
- Une partie de l’or exporté depuis le Tchad au début des années 2010 provenait vraisemblablement non seulement du Tchad lui-même mais également des pays voisins. De fait, il existe des comptes rendus de contrebande à l’échelle régionale : de l’or provenant de République centrafricaine (RCA), du Niger et du Soudan a été acheminé clandestinement en quantités considérables au Tchad. Cet or non déclaré à l’importation au Tchad était destiné avant tout aux EAU.
- Ces dernières années, la production d’or d’EMAPE au Tchad pourrait bien avoir dépassé l’estimation retenue par SWISSAID, à savoir 8'254 kg par an. Du moins, c’est ce que l’explosion des importations récentes d’or tchadien aux EAU rapportées par les autorités émiraties donne à penser.
Production d'or
Les autorités tchadiennes ne publient pas de données sur la production d’or au Tchad. SWISSAID a donc dû contacter le Ministère des mines et de la géologie (MMG, renommé par la suite Ministre du pétrole, des mines et de la géologie) tchadien, afin de s’en procurer. Elle a reçu une réponse indiquant que la production totale d’or au Tchad a été de 645 kg en 2020 et de 579 kg en 20211. Mais ces chiffres, qui émanent à l’origine de la Société nationale des mines et de la géologie (SONAMIG)2, ne reflètent pas les quantités totales de métal jaune réellement extraites chaque année du sous-sol tchadien3.
L’extraction de l’or au Tchad a lieu exclusivement par des méthodes artisanales ou semi-mécanisées4 ; en d’autres termes, il n’y a pas d’extraction industrielle du métal jaune dans ce pays. Une dizaine d’entreprises actives dans le pays possèdent un permis d’exploitation industrielle ou semi-industrielle5, mais plusieurs d’entre elles, dont des entreprises étrangères, affirment ne faire que de l’exploitation artisanale6.
Il n’existe pour ainsi dire pas de chiffres précis sur les quantités d’or produites par l’EMAPE au Tchad. La United States Geological Survey (USGS) a publié le chiffre de 14 kg par an entre 2013 à 2016 et relevé que le département de Mayo-Dallah avait à lui seul une « capacité » de production de 150 kg d’or par an en 2017 et 2018 (USGS 2019, USGS 2020). Mais ces chiffres, qui émanent à l’origine du MMG tchadien, sont incomplets et obsolètes ; ils ne reflètent pas la réalité sur le terrain, dans l’ensemble du pays, et surtout pas ces dernières années.
Pour se faire une idée de l’ampleur de la production d’or d’EMAPE au Tchad, il faut donc s’appuyer sur des estimations. La plus récente, que SWISSAID considère aussi comme la plus fiable, provient d’un inventaire des sites d’EMAPE du pays réalisé en 2020 en vue de l’adoption d’un Plan d’action national pour l’élimination du mercure dans l’EMAPE d’or au Tchad (PAN). L’inventaire a conduit à une estimation de la production d’or d’EMAPE au Tchad de 8’254 kg par année (MPMG 2022: 8, DEELCPN 2022: 27). Cette estimation est nettement plus élevée que celles qui l’ont précédée. Elle repose aussi sur une méthode plus solide, raison pour laquelle SWISSAID l’a incluse dans ses graphiques7.
L’EMAPE d’or au Tchad a surtout lieu dans le nord du pays, dans les régions du Tibesti (surtout sur le site de Kouri Bougoudi, aussi sur celui de Miski) et de l’Ennedi Ouest, mais pas uniquement ; de l’or est aussi extrait artisanalement dans le Mayo-Kebbi Ouest et le Batha (ITIE Tchad 2022: 39, Interpol 2021: 13, MMG8). Selon une dépêche d’un média tchadien, en 2024, le pays compte 324 sites miniers dédiés à l’exploitation de l’or (TchadOne 2024). La découverte de filons dans la région du Tibesti, située à la frontière avec le Niger et la Libye, a entrainé une ruée vers l’or à partir du début des années 20109, qui s’est soldée par d’importantes tensions interethniques et même des conflits meurtriers (Small Arms Survey 2017, ICG 2019). Une autre ruée vers l’or a eu lieu fin 2015 dans le département du Fitri (région du Batha). Elle aurait attiré près de 40’000 personnes en provenance du Tchad comme des pays voisins (Soudan, Nigeria, RCA, Cameroun, etc.) et le gouvernement tchadien y a d’abord réagi en interdisant l’orpaillage (Magrin 2017).
Etant donné le caractère largement informel de l’extraction et du commerce de l’or au Tchad et l’importance de la contrebande dans la région, l’Etat tchadien n’exerce sur ce secteur qu’un contrôle limité, qui, selon un expert consulté par SWISSAID, s’est surtout exprimé ces dernières années sous la forme d’un contrôle des sites miniers par les militaires, et encore, pas à Miski10. Jusqu’à la fin des années 2010, l’intervention de l’Etat tchadien se limitait peu ou prou aux permis de prospection ou d’exploitation artisanale ou semi-industrielle délivrés ou non aux entreprises – selon des critères et des procédures non transparents, souligne un rapport de la Banque mondiale (2023: 77). En 2019, l’Etat tchadien a créé un Comptoir national de l’or et des métaux précieux (CNOMP), dont l’objectif principal était « l’achat et la vente exclusive de l’or, des gemmes et autres métaux précieux provenant de l’exploitation artisanale ou semi-industrielle en vue du développement du secteur minier dans l’économie tchadienne » (ITIE Tchad 2022: 55, voir aussi CRCBS-AF 2021: 9). Mais les activités de cette agence publique n’ont pas démarré immédiatement. Dans le PAN, dont la publication date de 2022, la Direction des évaluations environnementales, de la lutte contre les pollutions et les nuisances (DEELCPN) écrit : « A l’heure actuelle, le comptoir n’est pas opérationnel. Selon les informations recueillies, le comptoir rencontre un problème de financement pour l’achat de l’or » (DEELCPN 2022: 28, voir aussi Banque mondiale 2023: 95).
Un expert de l’EMAPE d’or au Tchad interrogé par SWISSAID en août/septembre 2024 a affirmé que le CNOMP « n’existe plus aujourd’hui ». En revanche, la Société nationale d’exploitation minière et de contrôle (SONEMIC, créée en 2022 en remplacement de la SONAMIG) a ouvert un comptoir d’achat et mis en place un système de collecte de l’or sur le site de Kouri Bougoudi, qui sont opérationnels depuis début 2023 (voir aussi Africa Intelligence 2023). Selon cet expert, cela a conduit à une certaine « formalisation du secteur de l’EMAPE d’or » au Tchad11. Pour autant, la SONEMIC ne publie aucun chiffre sur la production d’or enregistrée officiellement.
Le même expert souligne également la mise en place fin 2022 d’un « centre de traitement » sur le site de Kouri Bougoudi, le principal champ aurifère du pays, afin d’« empêcher la contrebande » d’or vers la Libye12. Avec ses marchés illégaux et ses groupes armés non étatiques, cette zone a longtemps contribué à l’instabilité régionale (GI-TOC 2021). Un autre expert, consulté par SWISSAID en octobre 2024, affirme que la SONEMIC a effectivement un projet de centre de traitement (sur le modèle mauritanien), mais d‘après ses informations, rien n‘a été construit jusqu’ici. Selon lui, la SONEMIC se serait contentée jusqu’ici de taxer les centres de traitement existants13.
Les richesses générées au sein du secteur de l’or au cours de la dernière décennie n’ont que peu alimenté les caisses publiques tchadiennes. Ceci est dû au fait que l’Etat a eu du mal à les capter, du moins jusqu’à récemment et si l’on fait abstraction des hauts fonctionnaires cherchant à s’enrichir personnellement de manière illicite, un phénomène semble-t-il très répandu et impliquant même les plus hautes autorités et leurs entourages, selon la presse d’opposition (TchadOne 2024).
Ceci dit, le secteur profite à d’autres entités. Il représente une source de revenus importante pour les communautés vivant près des sites d’extraction et pour les mineurs venus des pays voisins. Il y a également des indications que des groupes armés non étatiques et même des membres de l’armée tchadienne ont fait des profits sur certaines mines, en particulier dans les zones frontières, en prélevant des taxes illégales, voire en participant directement aux opérations d’extraction (Small Arms Survey 2017). Au Fitri, vers 2016, ce sont surtout des « membres des forces de sécurité » qui ont tiré profit de l’exploitation artisanale clandestine en prélevant des taxes informelles lors de « confiscations réalisées dans le cadre de la répression d’une activité désignée comme illégale », note Géraud Magrin. Le géographe explique que « le sultanat, c'est-à-dire le pouvoir local, ne pèse pas dans la régulation de cette nouvelle ressource face au pouvoir central représenté par le détachement de sécurité présidentielle » (Magrin 2017: 4).
Les sites d’extraction d’or au Tchad attirent des orpailleurs venus des régions limitrophes, parfois des pays voisins tels que le Soudan, la Libye et le Niger. Des affrontements ont eu lieu sur ces sites, soit entre divers groupes d’orpailleurs soit entre les orpailleurs étrangers et les populations autochtones, comme dans la région du Tibesti et d’Ennedi (Small Arms Survey 2017) et du Batha (Magrin 2017). Ils dégénèrent parfois et le recours aux armes contribue alors grandement à l’insécurité qui règne aux abords des sites miniers.
Dans ces régions du Tchad, comme dans le reste du Sahel, le secteur de l’or pose d’autres graves problèmes. Il est associé au financement de la violence (The Sentry 2020), voire à des violations des droits humains comme le trafic des êtres humains et le travail forcé (Small Arms Survey 2017, Interpol 2021: 36).
Comme d’autres gouvernements d'Afrique subsaharienne, le gouvernement du Tchad voit d'un mauvais œil la présence de groupes armés non étatiques sur les sites miniers artisanaux. Pour empêcher ces groupes de tirer des revenus des terrains aurifères et d’y trouver des recrues, il a notamment cherché à fermer de tels sites dans la région du Tibesti. Mais cette mesure aurait été contre-productive, selon certains experts, car elle aurait justement accéléré le recrutement d’habitants locaux par les groupes rebelles (ENACT 2022). Un expert consulté par SWISSAID souligne qu’à Miski, c’est la population locale qui a d’elle-même « constitué un comité d’auto-défense pour éviter l’accaparement militaire des sites » 14.
Importations d'or
Les chiffres officiels indiquent qu’il n’y a eu pour ainsi dire aucune importation d’or au Tchad entre 2012 et 2022. Les autorités de quelques pays ont certes rapporté à UN Comtrade des exportations d’or à destination du Tchad sur cette période, mais seulement ponctuellement et les quantités sont négligeables (max. 17 kg en 2021). Il est impossible de comparer cela avec des déclarations faites par les autorités tchadiennes, car celles-ci ne rapportent pas leurs données sur l’importation d’or au Tchad à UN Comtrade et, à notre connaissance, n’en publient pas directement non plus.
En réalité, toutefois, le Tchad reçoit de grandes quantités d’or des pays voisins, en particulier de la RCA, du Niger et du Soudan (UNIDO 2018: 29, The Sentry 2021: 6, Interpol 2021: 19). Cet or passe les frontières clandestinement et transite par le Tchad, en particulier par la capitale du pays, N’Djamena, avant de rejoindre d’autres pays, au premier rang desquels les EAU (INTERPOL 2021: 20). Malheureusement, ce trafic a été relativement peu documenté jusqu’ici. Il manque notamment des estimations des volumes concernés. Néanmoins, les sources disponibles la présentent comme importante.
Exportations d'or
Il est impossible de prendre connaissance directement des quantités d’or exportées depuis le Tchad, du moins jusqu’en 2022, car les autorités tchadiennes ne rapportent pas ce genre de données à UN Comtrade et ne les publient pas non plus elles-mêmes (Interpol & ENACT 2021: 16). Le fait que SWISSAID a pu obtenir de la Direction des mines des chiffres pour 2022 (et les premiers mois de 2023), mais pas pour les années précédentes, est certainement dû à l’ouverture d’un comptoir d’achat officiel cette année-là, qui a permis d’enregistrer une partie des flux d’or quittant le pays.
La base de données UN Comtrade permet toutefois de se faire une idée de l’ampleur des exportations d’or du Tchad. Il suffit pour cela de consulter les données miroir, à savoir celles sur les importations d’or en provenance du Tchad rapportées par les autorités des autres pays. Ces données suggèrent que, dans l’ensemble, les exportations d’or du Tchad ont nettement augmenté au cours des années 2010, passant de 0,3 tonne en 2010 à plus de 15 tonnes en 2022.
Les entreprises disposant d’un permis d’exploitation affirment que l’or qu’elles extraient au Tchad est mis sur le marché local15. Il est possible que les autorités tchadiennes ne cherchent pas vraiment à vérifier ces affirmations ou qu’elles n’aient pas les moyens de le faire. Cela expliquerait qu’elles ne rapportent aucun chiffre sur les exportations à UN Comtrade et qu’elles n’en publient pas non plus elles-mêmes. Cependant, les importations d’or en provenance du Tchad rapportées par les autorités des autres pays indiquent clairement que de grandes quantités d’or traversent la frontière tchadienne. D’ailleurs, contactées directement par SWISSAID, les autorités tchadiennes ont tout de même reconnu qu’une quantité importante d’or (400 kg en 2020) quittait le Tchad depuis l’aéroport de N’Djamena16.
Le Tchad n'apparaît pas dans les données sur les pays d'origine publiées par la London Bullion Market Association (LBMA), qui se décrit elle-même comme « l’autorité mondiale en matière de métaux précieux » (LBMA Country of Origin Data)17. Cela signifie qu'aucune raffinerie certifiée selon la norme LBMA n'a rapporté avoir traité de l'or provenant du Tchad au cours des années 2018-2022. On peut donc supposer que les acheteurs de cet or étaient des acteurs d'un autre type.
Selon les déclarations faites à UN Comtrade, les EAU ont été quasiment le seul pays à importer de l’or du Tchad durant la période 2012-2021. Sur cette décennie, plus de 45 tonnes (45’590 kg) d’or au total auraient voyagé du Tchad vers les EAU. A propos de ces exportations, ENACT explique que « la majeure partie de la production de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle d’or du Tchad est acheminée vers N'Djamena, où une part importante est exportée vers Dubaï, souvent sans passer par les douanes du pays » (ENACT 2019: 11). Ceci correspond à l’observation suivante de Small Arms Survey : « La plupart de l'or extrait au Tibesti aurait été revendu sur les marchés mondiaux après avoir été exporté vers les grands magasins de Dubaï, le plus souvent sans être déclaré aux douanes et sans payer les taxes à l'exportation » (Small Arms Survey 2017: 82). Dans la perspective tchadienne, il s’agit là de flux d’or non déclarés et donc illicites.
Le trafic d’or en provenance du Tchad a aussi lieu au niveau régional. Dans ce cas, il lie le Tchad aux pays exportateurs d’or que sont le Mali et la Lybie. ENACT explique que « dans le Sahel, une part importante des flux d'or serait acheminée des régions frontalières du Niger et du Tchad vers leurs capitales respectives. De là, les flux d'or semblent étroitement liés à l'Afrique de l'Ouest, en particulier au Mali. On pense également qu'il existe des flux importants vers la Libye » (ENACT 2019: 11). SWISSAID a obtenu confirmation d’un expert du secteur de l’or tchadien que l’or extrait dans la région du Tibesti, qui jouxte le territoire libyen, « est traité et vendu en Libye ». Hormis le champ aurifère de Kouri Bougoudi, cela pourrait concerner d’autres sites situés dans le Tibesti, p. ex. celui de Miski18.
Il existe également des indications que de l’or est acheminé clandestinement du Tchad vers le Soudan (Small Arms Survey 2017: 86-89). Ces flux illicites ont été peu étudiés et on manque cruellement d’estimations des volumes qu’ils représentent. Il est donc difficile de se faire une idée de l’ampleur de ce trafic entre pays africains.
- Réponse du MMG à SWISSAID, 26 janvier 2022. Le MMG n’a fourni à SWISSAID que des données relatives aux années 2020 et 2021. A noter que, dans son dernier rapport en date, la section tchadienne de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE Tchad) calcule plutôt une production totale de métal jaune en 2021 de 198,82 kg, sur la base de chiffres fournis par la Direction générale technique des mines (DGTM) (ITIE Tchad 2024: 78).↩
- La SONAMIG n’existe plus depuis 2022 ; elle a été remplacée par la Société nationale d’exploitation minière et de contrôle (SONEMIC).↩
- GFMS (Eikon Refinitiv), qui a publié un chiffre sur la production d’or au Tchad très similaire à ceux du MMG dans sa base de données, à savoir 0,59 tonnes par an entre 2012 et 2019, a expliqué à SWISSAID avoir repris les données de la SONAMIG et a reconnu que celle-ci reposent sur des déclarations faites par les entreprises, sont certainement partielles et n’ont pas été actualisées depuis longtemps. Réponse de GFMS à SWISSAID, 14 janvier 2022.↩
- Commentaire d’un expert du secteur de l’or tchadien sur l’analyse de SWISSAID, 12 septembre 2024.↩
- Pour la liste de ces entreprises, voir les rapports de la section tchadienne de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE Tchad).↩
- Réponse de l’Agence nationale des investissement et des exportations (ANIE) à SWISSAID, 15 décembre 2021. Voir aussi DEELCPN 2022: 21-23.↩
- Une étude datant de 2014 estime que 146'000 personnes travaillaient directement dans les mines artisanales du Tchad au début des années 2010. Les auteurs supposent que la plupart d’entre elles extrayaient de l’or et que chacune d’elle produisait en moyenne 13,014 grammes par année, et en concluent que la production du métal précieux dans ce pays devait s’élever à cette époque à 1,9 tonne par an (Seccatore et al. 2014: 496). Il s’agit d’un calcul basique reposant sur de nombreuses incertitudes, mais dont le résultat a le mérite de donner un ordre de grandeur. Les estimations du nombre de mineurs présents et actifs au Tchad varient entre 100'000 (IISD 2017: 7) et 300'000 (UNECA non daté, publié après 2017). Sur son site web Artisanalmining.org, Felix Hruschka de l’Alliance pour une mine responsable (ARM) juge 300'000 plus réaliste, compte tenu des développements dans les pays voisins. En retenant la même production individuelle que Seccatore et al. (cf. ci-dessus), on peut calculer sur cette base une production annuelle totale de 3,9 tonnes.↩
- Réponse de l’ANIE à SWISSAID, 15 décembre 2021.↩
- Selon Gagnol & Tchilouta 2021, cette première ruée vers l’or au Tchad a démarré début 2013. Les chercheurs s’appuient sur des images satellite pour affirmer cela.↩
- Commentaire d’un expert du secteur de l’or au Sahel sur l’analyse de SWISSAID, 14 octobre 2024.↩
- Entretien de SWISSAID avec un expert du secteur de l’or tchadien, 4 août et 12 septembre 2024.↩
- Entretien de SWISSAID avec un expert du secteur de l’or tchadien, 4 août et 12 septembre 2024.↩
- Commentaire d’un expert du secteur de l’or au Sahel sur l’analyse de SWISSAID, 14 octobre 2024.↩
- Commentaire d’un expert du secteur de l’or au Sahel sur l’analyse de SWISSAID, 14 octobre 2024.↩
- Réponse de l’ANIE à SWISSAID, 15 décembre 2021.↩
- Réponse du MMG à SWISSAID, 26 janvier 2022. Dans son rapport annuel 2022, l’ITIE Tchad cite cette même source et le chiffre de 1'500 kg d’or ayant quitté le Tchad depuis l’aéroport de N’Djamena (ITIE Tchad 2024: 78).↩
- Les données sur les pays d'origine publiées chaque année par la London Bullion Market Association (LBMA) sont une source essentielle d’informations sur la destination de l’or provenant de chaque pays, y compris des pays africains. Elles proviennent des rapports que tous les raffineurs certifiés conformément à la norme de la LBMA doivent établir. Toutefois, la LBMA ne fournit ensuite ces données que sous forme agrégée (par pays, lorsque quatre raffineries ou plus sont basées dans le même pays, sinon par région), afin d'éviter de divulguer des informations sur chaque raffinerie individuelle. Par le passé, ces données n'apparaissaient que dans les rapports sur le développement durable et l'approvisionnement responsable de la LBMA (Sustainability and Responsible Sourcing Reports : voir LBMA 2020: 37 concernant 2018, LBMA 2021: 47 concernant 2019, LBMA 2022: 28 concernant 2020 et LBMA 2023: 32 concernant 2021). Depuis 2024, elles sont accessibles sur une page web dédiée : LBMA Country of Origin Data.↩
- Commentaire d’un expert du secteur de l’or tchadien sur l’analyse de SWISSAID, 12 septembre 2024.↩