Bénin

21 juillet 2024

Ce document fait partie d'un projet de recherche plus large sur les flux d'or africains. Pour plus d'informations sur les sources de données, la méthodologie ou les recommandations, veuillez vous référer au rapport Sur la piste de l'or africain (SWISSAID 2024).

Type de pays

Principales caractéristiques : producteur de très faibles quantités d’or, important exportateur, pays de transit pour l’or de contrebande provenant des pays voisins, voire de la région

Production d’or

  • extraction minière artisanale et à petite échelle

    • déclarée : 2 kg en 2019 (dernière donnée disponible)
    • non déclarée : aucune estimation disponible, mais vraisemblablement très faible, voire négligeable
  • extraction minière industrielle ou à grande échelle : aucune

Exportations d'or

  • déclarées : 2,9 tonnes en 2022
  • non déclarées (estimation) : 3,91 tonnes en 2022

Membre ITIE : non

Rapporte à UN Comtrade : oui, mais certains chiffres ne sont pas plausibles

Résumé

Tout comme le Togo, le Bénin occupe depuis longtemps une place centrale dans le commerce régional en Afrique de l’Ouest ; ces deux pays servent, parfois ensemble, de plaque tournante de la contrebande de nombreux types de marchandises, en particulier l’or et le mercure (Grynberg & Singogo 2021: 231-6). Pendant les années 2010 et le début des années 2020, des flux d’or en provenance des pays voisins ont transité par le Bénin avant de rejoindre les grands centres d’achat mondiaux que sont les Emirats arabes unis (EAU) et la Suisse.

On ne dispose de données officielles sur le commerce de l’or au Bénin qu’en ce qui concerne l’exportation du métal précieux depuis ce pays. Les chiffres rapportés par les autorités béninoises indiquent que les quantités d’or ayant quitté le Bénin chaque année entre 2012 et 2021 ont varié entre 7,27 et 13,17 tonnes (9,81 tonnes en moyenne)1, avant de chuter à 2,90 tonnes en 2022. Il n’existe aucun chiffre sur l’importation d’or au Bénin, du moins d’aucun chiffre fiable, ce qui s’explique par le fait que le métal précieux est acheminé clandestinement dans ce pays.

Sur la période 2013-2022, les exportations d’or rapportées par les autorités béninoises sont presque systématiquement inférieures aux importations d’or en provenance du Bénin rapportées par leurs homologues étrangères. En termes de poids, l’écart entre les importations des autres pays et les exportations du Bénin sur cette décennie s’élève à 18,20 tonnes au total. En termes de valeur commerciale, il atteint 4,41 milliards USD, ce qui est dû avant tout au fait que les autorités béninoises rapportent des valeurs bien trop basses pour être plausibles.

L’extraction d’or sur le territoire béninois, quant à elle, reste un phénomène très marginal, bien que ses origines remontent au moins à l’époque coloniale (voir Grätz 2009). Les volumes déclarés et enregistrés officiellement sont insignifiants et, pour plusieurs années, on ne dispose d’aucun chiffre. Il n’existe a priori aucune estimation de la production non déclarée de métal jaune sur sol béninois, mais les experts s’accordent à dire qu’elle est négligeable elle aussi.

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Dans le graphique ci-dessus, la production d’or propre au Bénin n’a pas été représentée, car elle serait pratiquement invisible. Il existe certes des chiffres officiels à ce sujet, que SWISSAID a obtenus de la Direction générale des mines (DGM)2, mais ils sont insignifiants, surtout en comparaison avec ceux sur le commerce d’or impliquant le Bénin. Cela s’explique par le fait que l’extraction du métal jaune n’a lieu qu’à très petite échelle sur le territoire béninois.

Les seuls chiffres signifiants sur le secteur de l’or béninois dont on dispose sont ceux sur l’exportation du métal précieux. Les poids rapportés à ce titre par les autorités béninoises à UN Comtrade, la base de données des Nations Unies sur le commerce international, sont de l’ordre d’une dizaine de tonnes par année entre 2012 et 2021. Puisque la production d’or au Bénin a été très faible pendant cette période, ces exportations très élevées étaient nécessairement constituées d’or provenant d’ailleurs. Il est toutefois difficile de savoir d’où, car il n’existe pour ainsi dire pas de données officielles sur l’importation d’or au Bénin.

Production d'or

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Interrogée par SWISSAID au sujet de l’extraction d’or au Bénin, la DGM a répondu que « le Bénin a connu jusqu’en 2009 l’exploitation semi-industrielle de l’or alluvionnaire à Perma, de même que l’exploitation artisanale depuis des décennies dans la même région jusqu’à ce jour ». Elle a fourni des données statistiques sur les quantités de métal jaune produites entre 2012 et 2019, mais pas pour les années suivantes et a justifié cela par le fait que la délivrance des autorisations a été suspendue dans le cadre de réformes engagées depuis 2018 par le Ministère de l’eau et des mines (MEM, renommé par la suite Ministère de l’énergie, de l’eau et des mines, MEEM)3. Les chiffres sur l’extraction d’or au Bénin que SWISSAID a reçus de la DGM sont de l’ordre de quelques kilogrammes, donc quasiment insignifiants.

Dans leur ouvrage sur le commerce de l’or africain, les chercheurs Roman Grynberg et Fwasa K. Singogo font le même constat, à savoir que les chiffres officiels de la production d’or au Bénin sont insignifiants ou même inexistants. Selon eux, il existe toutefois un « petit » secteur de l’extraction artisanale et à petite échelle (EMAPE) d’or dans le pays (Grynberg & Singogo 2021: 231). Il est difficile de se faire une idée des volumes de métal jaune produit par ce secteur, car il n’en existe a priori aucune estimation4. SWISSAID a demandé à la DGM si elle pouvait fournir un tel chiffre, mais elle a répondu que « les orpailleurs clandestins étant illégaux, l’Administration ne dispose pas d’estimations sur la production d’or artisanale informelle »5. Un expert indépendant interrogé par SWISSAID a décrit l’EMAPE d’or au Bénin comme « plus ou moins formelle » et souligné que seuls quelques artisans miniers disposent d’une autorisation6.

Toujours selon cet expert, « la quasi-totalité de l’or produit artisanalement au Bénin vient de deux provinces métallogéniques (l’Atacora et l’Alibori) », qui se situent toutes deux dans le nord du pays7. D’autres sources mentionnent Perma (dans l’Atacora) comme la principale zone aurifère du Bénin (ORTB 2017, L’Evénement Niger 2021)8.

Pour l’instant, il semble qu’il n’y ait pas d’extraction d’or industrielle au Bénin. L’Etat béninois cherche depuis quelques années à développer l’extraction minière sur son territoire, plus particulièrement dans le secteur de l’or (voir notamment La Tribune Afrique 2019, L’Evénement Niger 2021), mais cela ne semble pas encore avoir débouché sur l’ouverture d’une première mine industrielle.

Importations d'or

Officiellement, aucun or n’a été importé au Bénin entre 2012 et 2021. Les autorités béninoises n’ont rapporté à UN Comtrade que des chiffres nuls ou quasiment nuls au titre d’importation d’or entre 2012 et 2020 et le chiffre de 5 kg en 2021 n’est guère plus élevé. Sur cette même période, les autorités de trois autres pays ont rapporté des exportations d’or vers le Bénin, mais seulement ponctuellement et pour des quantités tout à fait négligeables9. En 2022, les autorités béninoises ont soudainement rapporté des importations d’or bien plus importantes que les années précédentes, à savoir 1’437 kg, en provenance avant tout du Ghana (1’392 kg) et, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni (45 kg). Mais les valeurs commerciales rapportées ne correspondent pas du tout aux poids rapportés. Et, en ce qui concerne le Ghana, il pourrait bien s’agir d’une erreur10.

Ce que ces chiffres officiels ne reflètent pas, c’est que le Bénin est impliqué depuis longtemps dans un important trafic d’or au niveau régional. De l’avis de nombreux spécialistes, il sert de pays de transit pour une partie considérable de l’or de contrebande provenant des pays voisins. Un rapport paru en 2018 affirme qu’au milieu des années 2010, de l’or d’EMAPE en provenance du Niger (voir profil pays correspondant) était acheminé clandestinement au Bénin avant de passer une nouvelle frontière et d’être exporté depuis le Togo (voir profil pays correspondant) vers les Emirats arabes unis (EAU) (GI-TOC & ONUDI 2018: 32). De l’aveu d’un fonctionnaire du MEM interrogé par l’un des auteurs du rapport précité, la majorité l’or qui arrivait au Bénin à la fin des années 2010 était en transit et provenait des pays du nord, à savoir du Burkina Faso, du Mali et du Niger11. Les chercheurs Grynberg et Singogo évoquent même une connexion avec le Nigeria (voir profil pays correspondant) : « Le commerce de l’or avec le Bénin voisin […] suggère l’existence d’une contrebande réelle et importante à travers la frontière nigériane, où se trouve une grande partie des gisements d’or d’EMAPE » (Grynberg & Singogo 2021: 236, traduction par SWISSAID).

Des révélations faites dans les médias en 2020 fournissent une preuve supplémentaire que le Bénin a reçu de l’or de contrebande des pays voisins durant les années 2010. Dans un compte rendu des activités de Trading Track Company SàRL (publié sur Cenozo 2020), Banouto, un média béninois, avance que cette société, fondée par deux Libanais et impliquée dans le commerce d’or au Bénin, n’achetait pas d’or produit sur le territoire béninois, mais uniquement de l’or acheminé clandestinement depuis les pays voisins et qu’elle le réexportait ensuite vers les EAU12. Le gérant de cette société a largement démenti ces allégations, explique Banouto, mais tout en reconnaissant que Trading Track Company ne se souciait pas de l’origine de l’or, ne demandait aucune précision à ce sujet et supposait simplement qu’il provenait du Bénin. Cette affaire impliquant un acteur qui, « avec un chiffre d’affaires de plus du milliard, selon les informations de Banouto, […] fait nul doute partie des plus gros du pays », révèle les types de pratiques qui dominent vraisemblablement dans le secteur de l’or béninois. L’enquête de Banouto expose par ailleurs les mécanismes par lesquels l’or est importé de manière clandestine au Bénin, puis exporté officiellement.

Aucune des sources mentionnées ci-dessus ne donne d’estimation des volumes d’or qui pénètrent clandestinement sur le territoire béninois chaque année. Le seul moyen de se faire une idée de l’ampleur du phénomène est donc de prendre appui sur les exportations d’or du Bénin. Etant donné la toute petite production locale d’or minier (et en supposant que le marché de l’or interne au Bénin n’est que de petite taille lui aussi), les flux de métal jaune qui entrent dans le pays doivent nécessairement correspondre grosso modo à ceux qui en sortent.

SWISSAID a pris contact avec plusieurs autorités et fonctionnaires béninois dans le but d’obtenir des renseignements sur cette contrebande d’or à destination du Bénin, mais seule la DGM a accepté de s’exprimer. Aux questions (1) « Est-ce que vous confirmez que la grande majorité de l’or exporté par le Bénin entre 2012 et 2022 est de l’or issu des pays limitrophes et a été exporté en contrebande vers le Bénin ? » et (2) « Est-ce que vous disposez d’informations précises sur l’origine de l’or transitant par le Bénin ? Est-ce que vous confirmez que cet or est originaire principalement du Niger, du Burkina Faso, du Mali et du Nigéria ? », la DGM a simplement répondu « non ».

Toutefois, dans leurs rapports à UN Comtrade, les autorités béninoises ont rapporté des quantités au titre de « réexportation » d’or qui correspondent grosso modo à celles déclarées au titre d’« exportation ». UN Comtrade définit la réexportation comme l’exportation de bien provenant de l’étranger et non du pays même (UN Statistics Wiki 2021). Donc, l’Etat béninois reconnaît, même si ce n’est que de façon implicite, que l’or exporté depuis le Bénin n’a pas été produit sur place, mais a été importé dans le pays avant d’en être exporté.

Exportations d'or

SWISSAID n’a trouvé aucune indication qu’il existe au Bénin un marché de l’or de taille et part donc de l’idée que les volumes de métal jaune importés dans ce pays sont aussi, à terme, exportés vers d’autres pays.

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SWISSAID a choisi de baser son analyse de l’exportation d’or depuis le Bénin exclusivement sur les données de UN Comtrade, car celles qui émanent de l’Etat béninois ne sont pas suffisamment fiables13.

Selon UN Comtrade, les autorités béninoises et leurs homologues étrangères ont rapporté des quantités similaires au titre de, respectivement, exportation d’or à partir du Bénin et importation d’or en provenance de ce pays pour plusieurs années entre 2010 et 2022, en particulier pour les années qui précèdent 2018. En ce qui concerne les années suivantes, cependant, on observe des écarts considérables entre les deux ensembles de données14. En 2021, l’écart atteint un maximum de 6,22 tonnes. Sur l’ensemble de la décennie 2013-2022, il s’élève à 18,20 tonnes au total.

Comme mentionné ci-dessus, SWISSAID s’est adressée aux autorités béninoises en vue d’obtenir des éclaircissements sur les écarts entre les exportations d’or du Bénin et les importations des autres pays, mais n’a pas reçu de réponse utile. Une enquête approfondie serait nécessaire afin de mieux les comprendre et de pouvoir les expliquer.

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Il existe un autre problème avec les données sur l’exportation d’or du Bénin rapportées par les autorités béninoises à UN Comtrade pour la période 2012-2022 : les valeurs commerciales ne sont pas plausibles. Elles impliquent des prix de l’or oscillant autour de 1'900 USD par kilogramme, ce qui est bien trop bas pour de l’or, quel que soit son degré de pureté ; même le plus pauvre des dorés coûte bien plus cher. Par comparaison, les valeurs commerciales rapportées par les autorités des autres pays impliquent des prix de l’or se situant aux alentours des 40'000 USD/kg, ce qui correspond plus ou moins au cours moyen du métal jaune sur le marché international durant la période en question.

Sur la décennie 2013-2022, l’écart entre les exportations du Bénin et les importations des autres pays se monte à 4,41 milliards USD au total.

Deux hypothèses au moins permettent d’expliquer la très faible valeur commerciale officielle de l’or exporté du Bénin. La première est que les autorités béninoises retiennent une valeur standard (toujours la même), quelle que soit la valeur réelle de l’or exporté ou même la valeur déclarée par les exportateurs, et que celle-ci est artificiellement basse. Une telle pratique, si elle était avérée, pourrait s’expliquer par une volonté de l’Etat béninois de promouvoir le commerce d’or via le Bénin en prélevant, dans les faits, des taxes inférieures à celles qui devraient l’être. On soupçonne que c’est aussi ce qui se passe au Togo (voir profil pays correspondant).

La seconde hypothèse est que les individus ou sociétés exportateurs d’or déclarent des valeurs commerciales inférieures aux valeurs réelles (sous-déclaration ou underreporting). De nombreux facteurs peuvent les pousser à le faire (voir Kellenberg et Levinson 2016), en particulier la volonté d’échapper aux taxes imposées par l’Etat (évasion fiscale). Les sanctions qui devraient normalement s’abattre sur eux pour non-respect de la loi ne sont pas particulièrement dissuasives, car la corruption permet d’y échapper relativement facilement.

Des recherches supplémentaires seraient nécessaires afin de tester ces deux hypothèses.

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Les pays de destination des exportations d’or à partir du Bénin varient grandement selon qu’on s’intéresse aux déclarations faites à UN Comtrade par les autorités béninoises ou à celles faites par leurs homologues étrangères. Ceci est particulièrement marquant si l’on se penche sur l’année 2013 : les autorités béninoises ont rapporté des exportations d’or vers de nombreux pays, mais seuls trois de ces pays (les EAU, la Suisse et le Liban) ont rapporté des importations d’or en provenance du Bénin. A l’inverse, les autorités émiraties ont rapporté des importations de 4,8 tonnes d’or en provenance du Bénin, tandis que leurs homologues béninoises n’ont rapporté aucune exportation d’or à destination des EAU. Enfin, dans les cas de la Suisse et du Liban, l’existence d’une relation commerciale avec le Bénin apparaît dans les déclarations de tous ces pays, mais les quantités indiquées de part et d’autre varient grandement (1’967 versus 4’003 kg pour la Suisse et 2’722 versus 1’531 kg pour le Liban). Des observations similaires peuvent être faites en ce qui concerne 2012 et 2014.

Les différences entre les ensembles de données sont également marquantes si l’on s’intéresse particulièrement à certains pays de destination. Par exemple, les autorités béninoises ont rapporté à UN Comtrade des poids tout à fait considérables au titre d’exportation d’or vers le Ghana pour la plupart des années entre 2012 et 2022. Sur l’ensemble de cette période, 19,36 tonnes d’or au total auraient été exportées du Bénin vers le Ghana, selon elles. En revanche, les autorités ghanéennes n’ont rapporté aucune importation d’or en provenance du Bénin sur cette même période. Et le Ghana n’est pas connu comme un pays importateur d’or, mais plutôt comme le pays d’origine d’une bonne partie de l’or de contrebande qui circule dans la région (voir profil pays Ghana). La même observation peut être faite en ce qui concerne l’Ukraine : 32,57 tonnes d’or en provenance du Bénin auraient été exportées vers ce pays entre 2017 et 2022, selon les autorités béninoises, tandis que les autorités ukrainiennes ne rapportent aucune importation d’or en provenance du Bénin.

De telles différences et de tels écarts soulèvent de nombreuses questions et posent problème. SWISSAID a contacté plusieurs organismes étatiques béninois et plusieurs fonctionnaires au sein de ces organismes en vue d’obtenir des éclaircissements sur l’exportation d’or du Bénin, mais n’a reçu aucune réponse. Dans cette situation, il est difficile de fournir des explications. Tout au plus peut-on avancer des hypothèses. Par exemple, dans le cas des exportations d’or du Bénin vers le Ghana, il est possible que le Ghana n’ait servi que de pays de transit et que l’or exporté du Bénin ait eu ensuite une autre destination. C’est ce qui semble s’être passé dans le cas du Togo au milieu des années 2010 (voir profil pays Togo).

Bien que les autorités béninoises ont rapporté à UN Comtrade des exportations d’or vers plusieurs pays où l’on trouve des raffineries membres de la London Bullion Market Association (LBMA), le Bénin n’est pas mentionné dans les données sur les pays d'origine publiés par cette association professionnelle internationale (LBMA Country of Origin Data)15. Cela signifie qu’aucune raffinerie certifiée selon la norme LBMA n’a rapporté avoir importé de l’or de ce pays entre 2018 et 2022.

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Comme on peut le voir dans le graphique ci-dessus, les écarts entre les poids rapportés par les autorités émiraties à UN Comtrade au titre d’importation d’or en provenance du Bénin et ceux rapportés par leurs homologues béninoises au titre d’exportation d’or vers les EAU entre 2010 et 2022 sont considérables. Ils varient entre un peu moins de 5 et un peu plus de 15 tonnes et s’élèvent à 98,38 tonnes au total sur l’ensemble de la période16.

Même si l’on considérait que les exportations d’or du Bénin vers le Ghana et vers l’Ukraine, les principaux pays de destination de l’or béninois, selon les rapports des autorités béninoises à UN Comtrade, avaient pour véritable destination les EAU, il resterait un écart considérable entre les données béninoises et leur image miroir. On peut en déduire qu’il existe, selon toute vraisemblance, un important trafic d’or entre le Bénin et les EAU.

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L’exportation d’or du Bénin vers la Suisse apparaît de manière très différente selon qu’on s’intéresse aux poids rapportés par les autorités béninoises à UN Comtrade ou à ceux rapportés par leurs homologues suisses. L’écart entre ces deux ensembles de données est particulièrement étonnant et problématique en ce qui concerne les années 2016 à 2018, car le Bénin disparaît alors des statistiques officielles suisses, alors que la Suisse reste très présente dans les statistiques officielles béninoises. SWISSAID a contacté les autorités douanières de la Suisse et du Bénin en vue d’obtenir des éclaircissements sur ce déséquilibre commercial flagrant entre les deux pays.

L’Office fédéral des douanes et de la sécurité des frontières (OFDF) suisse a répondu17 que « la comparaison des statistiques nationales et étrangères est toujours délicate et les différences constatées peuvent résulter de nombreux facteurs ». En particulier, l’OFDF a mentionné les cas où (1) la marchandise est destinée à un entrepôt douanier en Suisse, (2) elle est importée indirectement en Suisse via un pays tiers et son origine n’est pas connue, (3) une erreur s’est produite18 et (4) l’origine annoncée à l’OFDF est un autre pays [que le Bénin, en l’occurrence]. L’OFDF a ajouté que, quoi qu’il en soit, l’écart entre les statistiques de la Suisse et celles du Bénin « ne permet pas de conclure à une activité illégale ».

Du côté béninois, SWISSAID a contacté la Direction générale des douanes à la fois directement et indirectement, autrement dit en s’adressant à plusieurs fonctionnaires y travaillant et y occupant des postes à responsabilité, mais celle-ci n’a jamais répondu. Les efforts de SWISSAID pour obtenir des réponses d’autres organismes étatiques béninois concernés par le commerce de l’or, notamment la Direction du commerce extérieur (Ministère de l’industrie et du commerce), se sont eux aussi révélés infructueux.

Selon un rapport paru en 2015, c’est en grande partie le groupe Ammar qui, durant la première moitié des années 2010, a importé en Suisse de l’or en provenance du Bénin (Public Eye 2015: 20). Ce rapport décrit la structure et les activités du groupe, fondé par les frères Elias, Antoine et Joseph Ammar, des entrepreneurs libanais. Il montre que le groupe disposait d’une succursale en Suisse (MM Multitrade), qui travaillait directement avec celles implantées au Togo et au Bénin, et qui revendait l’or provenant de ces pays à Valcambi, une raffinerie basée en Suisse qui compte parmi les plus grandes au monde.

Exportations d’or en contrebande

SWISSAID n’a trouvé aucun compte rendu de la contrebande d’or à partir du Bénin. Cependant, il y a des indications qu’un trafic aérien important lie le Bénin aux EAU. Dans une affaire récente, qui a fait beaucoup parler d’elle, trois ressortissants béninois ont pris l’avion pour Istanbul en janvier 2022, avec l’intention de continuer leur voyage vers Dubaï. Ces personnes ont emporté 84 kg d’or (ainsi que 2 millions EUR et 250'000 GBP) dans leurs bagages. A cause de mauvaises conditions météorologiques, leur avion a été immobilisé au sol lors d’une escale à Abidjan. Cela a permis aux douanes ivoiriennes d’apprendre l’existence du chargement et d’arrêter les suspects. Quelques jours plus tard, au Bénin, plusieurs personnes, dont le chef de la brigade des douanes de l’aéroport de Cotonou et son adjoint, ont été arrêtées et accusées de « corruption, abus de fonction et contrebande en bande organisée » (La Nouvelle Tribune 2022, 24 h au Bénin 2022, RFI 2022).

Par ailleurs, le Bénin est fortement impliqué dans la contrebande au niveau régional, qui se fait par voie terrestre. Selon toute vraisemblance, cela couvre également des flux d’or en direction du Togo (L’Evénement Niger 2021), car la frontière entre les deux pays est notoirement poreuse (iciBénin 2020) et le Togo (voir profil pays correspondant) est lui aussi un important exportateur d’or.


  1. Les valeurs commerciales de ces exportations rapportées par les autorités béninoises sont sans commune mesure avec les quantités/poids rapportés (ou vice-versa), ce qui pose problème.
  2. Réponse de la DGM à SWISSAID, 13 octobre 2023. La DGM est rattachée au Ministère de l'énergie, de l'eau et des mines (MEEM).
  3. Réponse de la DGM à SWISSAID, 13 octobre 2023, et réponse de la DGM à SWISSAID, 26 octobre 2023. Dans sa réponse du 26 octobre 2023, la DGM précisait que « depuis que les réformes ont été engagées dans la filière d'orpaillage, plus aucune autorisation n'est octroyée aux orpailleurs », qu’« il n'y a pas eu de déclarations de production enregistrées au niveau de l'Administration minière » pour les années 2020-2022 et enfin que « la délivrance des autorisations reprendra dès que les réformes seront arrivées à terme. Aucune date n'est encore fixée à ce propos ».
  4. Dans son Minerals Yearbook 2018, la U.S. Geological Survey (USGS) ne donne aucun chiffre sur le Bénin et précise que ce pays «produit peut-être de l'or (sous forme de production artisanale non documentée ou de sous-produits), mais les informations disponibles ne permettent pas d'estimer de manière fiable les niveaux de production » (USGS 2022: 31.15).
  5. Réponse de la DGM à SWISSAID, 26 octobre 2023.
  6. Réponse d’un expert indépendant à SWISSAID, 18 mars 2022. L’expert en question a tenu à rester anonyme.
  7. Réponse d’un expert indépendant à SWISSAID, 18 mars 2022.
  8. Réponse de la DGM à SWISSAID, 13 octobre 2023.
  9. Seule exception : les autorités centrafricaines ont rapporté des exportations d’or de la République centrafricaine vers le Bénin de 372 kg en 2016. Cependant, ce chiffre est douteux, car la valeur commerciale rapportée (10'733 USD) est très basse et sans commune mesure avec le poids rapporté. Il pourrait bien s’agir d’une erreur, par exemple d’unité (indication de kilogrammes au lieu de grammes).
  10. Premièrement, les autorités ghanéennes n’ont rapporté aucune exportation d’or vers le Bénin sur toute la période 2012-2022. Deuxièmement, le Bénin a surtout rapporté des exportations d’or vers le Ghana entre 2012 et 2022. Troisièmement, SWISSAID a constaté qu’en 2022, les données UN Comtrade contenaient une erreur concernant le commerce d’or entre les deux pays : les autorités béninoises avaient rapporté des exportations d’or vers le Ghana de 75 tonnes en 2018, un chiffre énorme et peu plausible, qui a d’ailleurs été corrigé par la suite. Enfin, si l’existence d’un commerce d’or entre le Ghana et le Bénin n’est pas irréaliste du tout, il faut tout de même relever que les deux pays n’ont pas de frontière commune et que le Togo, un autre pays importateur d’or, se situe entre les deux.
  11. Communication d’Alexandre Bish à SWISSAID, 11 mars 2022.
  12. Pour ce faire, Banouto s’appuye principalement sur une enquête menée par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) en collaboration avec d’autres organisations, sur la base des fichiers ayant fuité du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) des Etats-Unis. Ces fichiers contiennent notamment un entretien avec un responsable (anonyme) de Trading Track Company, qui reconnaît que l’or que sa société achète provient des « pays d’à côté » et non du Bénin lui-même et qu’il ne fait que transiter par le Bénin.
  13. D’après les données de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (INSAE) du Bénin, les exportations d’or auraient atteint près de 70 tonnes d’or par année à la fin des années 2010 (69’293 kg en 2018 et 66'157 kg en 2019, codes tarifaires 7108.12 et 7108.13 confondus). Ce chiffre, qui est sans commune mesures avec ceux déclarés par les autorités béninoises à UN Comtrade, parait peu plausible. Il donne une image très vraisemblablement disproportionnée de l’importance du Bénin dans le commerce de l’or africain. De plus, il ne correspond pas aux valeurs indiquées par l’INSAE pour ces mêmes années (à savoir XOF 7,2 milliards en 2018 et XOF 8,7 milliards en 2019, codes tarifaires 7108.12 et 7108.13 confondus). Autrement dit, il y a une incohérence. Pour les autres années de la décennie 2010-2019, les données de l’INSAE affichent une quantité nulle (2015, 2016 et 2017) ou alors n’incluent pas l'or dans la liste officielle des biens exportés (2010-2014). La base des données économiques et financières de La Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) contient elle aussi des chiffres relatifs aux exportations d’or depuis le Bénin, dont la source semble être les services douaniers du pays. Cependant, là aussi, il est difficile de s’y fier. Les valeurs (la BCEAO n’indique que des valeurs, pas de quantité) varient énormément d’une année à l’autre, sans aucune tendance cohérente ; certaines sont mille ou dix mille fois supérieures à d’autres. A titre indicatif, la valeur la plus élevée, à savoir XOF 13,2 milliards (en 2017), correspond à une quantité de l’ordre de quelques centaines de kilogrammes, selon la pureté de l’or concerné et les prix du marché.
  14. L’année 2018 est la seule de la décennie où les autorités béninoises ont rapporté un poids total supérieur à celui rapporté par leurs homologues étrangères.
  15. Les données sur les pays d'origine publiées chaque année par la London Bullion Market Association (LBMA) sont une source essentielle d’informations sur la destination de l’or provenant de chaque pays, y compris de pays africains. Elles proviennent des rapports que tous les raffineurs certifiés conformément à la norme de la LBMA doivent établir. Toutefois, la LBMA ne fournit ensuite ces données que sous forme agrégée (par pays, lorsque quatre raffineries ou plus sont basées dans le même pays, sinon par région), afin d'éviter de divulguer des informations sur chaque raffinerie individuelle. Par le passé, ces données n'apparaissaient que dans les rapports sur le développement durable et l'approvisionnement responsable de la LBMA (Sustainability and Responsible Sourcing Reports : voir LBMA 2020: 37concernant 2018, LBMA 2021: 47 concernant 2019, LBMA 2022: 28 concernant 2020 et LBMA 2023: 32 concernant 2021). Depuis 2024, elles sont accessibles sur une page web dédiée : LBMA Country of Origin Data.
  16. Les autorités émiraties ont rapporté des importations d’or du Bénin de 42,57 tonnes en 2021, mais la valeur commerciale rapportée (33,36 millions USD 8) ne correspond pas à ce poids. Comme ce poids n’est pas cohérent par rapport à ceux des autres années, tandis que cette valeur commerciale, si, SWISSAID a décidé de corriger le premier en s’appuyant sur la seconde.
  17. Réponse de l’OFDF à SWISSAID, 28 mars 2022.
  18. A titre d’exemple, l’OFDF a mentionné que de nombreuses statistiques étrangères indiquent le pays de facturation, qui peut être la Suisse, comme pays de destination, bien que la marchandise n'est pas importée physiquement dans ce pays.